Après quelques minutes passées à escalader péniblement les hauteurs des Ventrons, le tableau qui s’offre finalement à nous aurait de quoi fendre, dans la seconde, le cœur des Martégaux amoureux de la nature. En face, juste sous nos yeux, un manteau de plastique habille le sommet d’une colline, comme la neige éternelle couvre les pics alpins. Mais cette bute n’est pas la seule victime. Loin de là ! Tout autour, dans la vallée, s’éparpillent, volent et s’amassent au gré du vent des milliers de détritus multicolores, qui finissent bien souvent leur course dans les arbustes, en s’accrochant aux branches.
[ SOCIETE - MARTIGUES ] "Mon voisin a cru qu'il y avait un cadavre" : à Martigues, la décharge du Vallon du Fou pourrit la vie des habitants
Des riverains dénoncent la pollution plastique et les odeurs liées à l’activité du centre de traitement des déchets. Depuis cet été, leur quotidien est devenu un calvaire. Témoignage.
26 janvier 2024 à 15h46 par sarah Rios
La scène est d’autant plus insupportable que ces terres sauvages ont déjà souffert par le passé ; brûlées notamment en août 2020 par un incendie tristement mémorable, dont les flammes ravagèrent ici plus de 1000 hectares. Et comme si ce "spectacle" ne suffisait pas… Impossible de reprendre notre souffle tant l’odeur ambiante est fétide! Rien n’y fait: un fumet particulièrement désagréable persiste. Même les bourrasques, pourtant violentes ce matin-là, ne parviennent à le dissiper. Au contraire, elles semblent le propager.
"Hier ça sentait le vomi dehors"
Résident des Ventrons depuis près de quatre ans, Philippe* habite quelques dizaines de mètres en contrebas. "Depuis cet été", situe-t-il, la pollution plastique et les effluves nauséabonds sont devenus son pain quotidien. Exaspéré par ces nuisances multiples qui gâchent sa vie et celle de ses proches, ce père de famille s’est fait malgré lui le porte-parole de nombreux riverains en colère. "Tout ce qui se passe est extrêmement grave, nous confie-t-il, et ça ne cesse de s’aggraver."
D’abord, il y a les odeurs, sa "principale préoccupation" à plusieurs titres. "Vous n’avez pas idée", prévient Philippe, et de relater: "Dès qu’il y a un vent du Nord, ça pue (…) Hier, j’ai failli péter un plomb, c’était le pire qu’on ait connu. Ça sentait le vomi dehors. J’ai hésité à appeler les pompiers." Quand les odeurs deviennent trop fortes, "on court pour rejoindre la voiture. On en vient à s’interdire d’aérer, ou même de sortir, parce qu’au final, on ne sait pas vraiment si c’est nocif pour notre santé. Toutes ces odeurs, ça nous donne des maux de tête. Un invité a déjà fait un malaise chez moi (…) L’autre jour, mon voisin a même cru qu’il y avait un cadavre tellement ça puait."
Un centre labellisé "site éco-responsable"
Pour Philippe, l’identité du "coupable" dans cette histoire ne fait pas l’ombre d’un doute. Et d’accuser : "C’est la décharge". Il fait référence au centre de traitement des déchets du Vallon du Fou, situé à environ un kilomètre de son domicile, en direction de Lavéra. Le site - qui affiche fièrement à l’entrée son label "éco-responsable" ISO 14 001 - est sous pavillon métropolitain.
Philippe pointe plusieurs négligences de gestion. "Les odeurs sont liées à des boues, dans les alvéoles du centre de tri, qui ne seraient pas couvertes", affirme-t-il. Quant aux déchets plastiques : "Normalement, les abords de la décharge sont nettoyés deux fois par an, mais ça n’a pas été fait l’année dernière (…) Les camions poubelles en circulation devraient être bâchés, mais ils ne le sont pas. Tout ça pour gagner du temps. Donc, les abords des routes aussi sont pourris. C’est une porcherie. Et je ne parle pas de la hauteur des filets du centre qui sont beaucoup trop bas (…) Du plastique, il y en a devant les écoles, dans les jardins, dans les arbres. Ça fait comme des guirlandes."
La Métropole est au fait du problème et promet d’agir rapidement
Il souligne par ailleurs les difficultés, à la fois financières et techniques, qu’éprouvent certains habitants pour se débarrasser des ordures haut perchées : "Si l’assurance ne couvre pas, l’opération est aux frais du particulier…"
Agacés, Philippe et ses proches dénoncent enfin "un manque de transparence" des gestionnaires du site. Mais aussi "une absence de réponse claire", de la part des collectivités locales, Métropole Aix-Marseille et Ville de Martigues notamment, qui "se renvoient la balle".
Roland Mouren, calme le jeu et promet que les services sont sur le pont pour trouver des solutions. Sollicité par La Provence, le vice-président métropolitain en charge de la valorisation des déchets ne cache pas la poussière sous le tapis. "J’ai vu passer les courriers, acquiesce-t-il. Les services sont dessus. Ils le savent et font leur possible. D’une part, pour les plastiques volants. Puisque effectivement, c’est un sujet. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, c’est un épisode. Mais c’est en train d’être réglé (…) S’il est avéré que les camions ne mettent pas de filet, c’est inacceptable et cela doit être sanctionné. Donc, je vais le signaler au responsable. Je vais lui demander de surveiller ça. On va appeler à la vigilance. Et d’autre part, sur les odeurs (…) les ingénieurs planchent dessus. C’est un travail d’enfouissement. On recouvre les déchets avec de la terre pour étancher et éviter que des odeurs remontent."
"Ce n'est pas dangereux, c'est sans risque"
Quant à la cause des effluves puants, l’élu mentionne des difficultés liées à des "incendies souterrains" survenus cet été. "Ils ont dû perturber les couches. Ça a brûlé sous le sol. D’après moi, ça vient de là. Ils ont été embêtés tout l’été. D’ailleurs, la menace est toujours sous-jacente", avance-t-il.
Toujours selon Roland Mouren, les nuisances olfactives dont souffrent les riverains du centre de tri ne seraient pas nocives pour la santé. "Ce sont des déchets ménagers", signale l’élu. Et de rassurer: "Il n’y a pas de déchets dangereux qui sont enfouis. Oui, ça ne sent pas bon, c’est un peu comme les égouts. Mais ce n’est pas dangereux, c’est sans risque."