[ ECONOMIE - ARLES ] Arles : une saison "dégueulasse" pour les restaurateurs et les hôteliers

Alors que s'achève le mois de juillet, les terrasses des restaurants et les chambres des hôtels peinent à attirer les touristes. Retour sur un début d'été très compliqué

4 août 2023 à 10h29 par Nada DIDOUH /laprovence.com

[ ECONOMIE - ARLES ] Arles : une saison "dégueulasse" pour les restaurateurs et les hôteliers
Crédit : eric catarina

Généralement, l'été, on perd les locaux et on gagne les touristes. Cette année on a perdu les locaux et on n'a pas gagné les touristes", regrette, désabusée, Sandrine Arnoux, propriétaire de la brasserie Le Waux Hall, sur le boulevard des Lices. Un sentiment que partagent les restaurateurs et hôteliers arlésiens qui dépeignent un mois de juillet plus que décevant. La saison semblait pourtant commencer sur les chapeaux de roues alors que les Rencontres de la photographie battaient un nouveau record de fréquentation avec une première semaine à 19 500 visiteurs, mais les chiffres ne se sont pas répercutés sur les professionnels du tourisme.

"On n'a pas encore de chiffres mais il y a une baisse importante de la fréquentation des restaurants et dans les hôtels c'est aussi très mitigé", analyse Patrice Tommasi, propriétaire du Brithotel Acacias et président de l'Umih (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie).

Son hôtel a enregistré un mois de juillet "correct", mais "il y a eu des chambres qui sont parfois restées vides" alors que d'habitude le professionnel est contraint de refuser les clients par manque de chambres disponibles. "En temps normal, en juillet-août, tout est plein. Mais on n'est pas du tout sur une année comme les autres où, dès qu'on était complets, on cherchait à envoyer des clients chez les collègues. Ce n'est plus notre quotidien", regrette-t-il. Même son de cloche chez Frédéric Jacquemin, propriétaire de l'hôtel et restaurant Le Calendal, qui déplore un mois de juillet "moins bon que ceux des années précédentes. Les visiteurs n'ont pas été au rendez-vous, ni dans les chambres, ni au comptoir. On enregistre une baisse de la fréquentation d'au moins 30 %", déplore celui qui reste malgré tout optimiste et espère une arrière-saison réussie : "avec la Coupe du monde de rugby, ça devrait bien repartir (le premier tournoi mondial de rugby amateur se déroulera en septembre dans 7 villes de Provence, dont Arles. Ndlr)." "Dans l'ensemble on sent que la saison va être très moyenne", commente Patrice Tommasi qui, malgré les baisses très importantes constatées dans les hôtels, s'inquiète surtout pour les restaurateurs. "Il y a un véritable effondrement sur les terrasses. Des collègues qui affichent complet en règle générale se retrouvent dans une situation très compliquée aujourd'hui. Ce sont les premiers impactés" observe-t-il, avant de s'interroger : "On voit des touristes donc ils sont bien quelque part. Mais où sont-ils ? Où dorment-ils ? Où mangent-ils ? On ne le sait pas. Ce qui est sûr c'est qu'où qu'ils soient, ils ne sortent pas manger."

"C'est pas bon du tout et c'est dangereux"

Une certitude que confirme Stéphane di Filippo. Cet Arlésien propriétaire des restaurants Le Cocorrico ! près du théâtre Antique et Cuit Cuit, rue du docteur Fanton, ne mâche pas ses mots. "La saison de juillet ? Dégueulasse. Dégueulasse. Dégueulasse," répète-t-il. "C'est pas bon du tout et c'est dangereux. Il y a beaucoup d'affaires qui vont devoir fermer parce que je ne sais pas comment on va faire pour passer l'hiver. Pour tenir il faudrait que les gens remettent de l'argent de leurs poches mais comment tu fais quand tu n'as plus d'argent ?" demande celui pour qui la baisse de fréquentation s'observait déjà l'année dernière. "On a fait le bilan avec d'autres restaurateurs en octobre dernier et ça n'allait déjà pas. On a mis de l'argent qu'on avait de côté, c'était la première fois que ça m'arrivait en 30 ans de carrière ! Si ça doit se représenter cette année, ça va être compliqué et ça va en décourager beaucoup" anticipe-t-il. Au Cocorrico, "on fait 90 couverts le midi alors qu'on devrait en faire 130 facile, et 80 le soir au lieu de 150". Même chose au Cuit Cuit100 couverts en moins sont posés chaque jour. "Si seulement on l'avait su, on n'aurait pas investi dans du personnel", regrette Sandrine Arnoux du Waux Hall qui va "revoir (sa) copie".

Mais comment expliquer alors ce bilan décevant ? Pour la majorité des professionnels, la raison principale repose sur le pouvoir d'achat en baisse et l'inflation. "La bière, les sodas, la farine, le blé... Tout a augmenté. Et nous on est obligés de suivre, on n'a pas le choix" regrette Stéphane di Filippo qui a conscience de la cherté en restauration : "Je sais que c'est cher, je suis aussi consommateur". Depuis le haut du jardin d'été, il voit "les gens pique-niquer, se balader avec leurs sandwiches, leurs glacières. Certains se mettent sur le trottoir pour manger leur encas. On ne peut pas leur en vouloir, on sent que c'est dur, commente-t-il, plein d'empathie. 2,80€une boule de glace. On marche sur la tête. C'est presque du vol. Et moi je suis obligé de la vendre à ce prix-là, ça me fout la haine." Au-delà de l'inflation, une autre hypothèse est soulevée par ceux qui trouvent les touristes moins nombreux dans la ville : celle des émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel, tué par un policier en juin dernier lors d'un contrôle routier. "J'ai l'impression qu'on le paie un peu, commente le président de l'Umih, c'est arrivé au moment où les gens réservaient les vacances. Si c'était moi et que je voyais les images en boucle à la télé, je n'aurais pas choisi la France comme destination." "Les médias ne nous aident pas, estime Stéphane di Filippo, à l'étranger, on entend qu'en France il fait trop chaud, qu'il y a les incendies, les grèves, les émeutes..., mais ce n'est la faute à personne, ni celle de Macron, ni de De Carolis, ni la mienne, c'est tout un ensemble. Du boulanger au bijoutier, tout le monde galère en ce moment."

"On propose trop de choses pour le peu de monde qu'il y a"

Le pouvoir d'achat, l'inflation, l'image de la France à l'étranger... et si une autre des raisons expliquant le mauvais bilan des hôteliers et des restaurateurs était le déséquilibre entre l'offre et la demande sur la ville ?

"La location saisonnière a énormément augmenté à Arles, explique le président de l'Umih Patrice Tommasi. Pour les locations type Airbnb, on n'a pas de chiffres précis, mais on sait que l'offre a augmenté. Peut-être que les clients se sont dilués dans ça ?" s'interroge-t-il. "Il y a au moins 1 600 Airbnb dans notre ville, pas besoin d'être intelligent pour comprendre que c'est trop."

L'hypothèse est partagée par le restaurateur Di Filippo : "Je pense qu'on est trop nombreux pour la ville d'Arles, on propose trop de choses pour le peu de monde qu'il y a. Il y a trop d'Airbnb, trop d'endroits pour manger, et c'est comme ça qu'on a tous l'impression qu'il y a moins de touristes. Aujourd'hui, les boulangeries font des plats du jour, les boucheries, les fromageries aussi, même Biocoop propose un plat du jour. Il y a trop de concurrence et tout le monde fait tout et n'importe quoi", énumère celui qui s'inclut dans le lot : "Moi le premier, j'ai commencé à faire des glaces et granitas cette année."

En se baladant un soir avec son mari, la propriétaire du Waux Hall, Sandrine Arnoux fait le même constat : "Je suis restée bouche bée, le moindre trottoir est envahi par des tables et des chaises alors qu'en hiver, les clients nous le disent, c'est difficile de trouver où manger, l'offre est divisée par quatre. En été il y a trop d'éphémères partout, c'est dommage parce que nous on est là à l'année, témoigne fièrement cette Arlésienne, qui s'inquiète pour l'avenir de la ville. "Arles me donne l'impression de devenir les Saintes cette année. On est en train de transformer la ville, c'est-à-dire qu'on devient saisonniers. Mais est ce qu'on a envie de le devenir ? C'est ça la question qui se pose aujourd'hui".